ARTS & MACHINERIES

Entre arts et techniques, la frontière est parfois bien mince. Que l'on soit débutant ou expert, on est toujours fasciné par la transformation de la matière en un objet, d'un objet en un autre, la nouvelle vie d'un objet après modification ou réparation. Vous aimez travailler de vos mains, vous voulez apprendre ou partager vos connaissances ? Entrez, c'est ici que ça se passe ! Les fiches pratiques sont sur: http://groups.google.fr/group/arts-et-machineries?hl=fr   Pas de langage SMS sous peine de sanctions !

Nouvelle version ! La plateforme hébergeant notre forum a été modernisée et de nouvelles fonctionnalités sont disponibles. Le fonctionnement global n'a pas été modifié et vous n'aurez pas besoin de réapprendre quoi que ce soit.

Vitrail: la coupe du verre

05-03-2017 à 13:47:40
Le document initial ayant disparu avec le service qui l'hébergeait, en voici une nouvelle version. Attention, elle est susceptible d'évoluer pendant quelques temps.

Partie 1
Que ce soit pour du vitrail, de la miroiterie, simplement pour réparer une fenêtre ou pour ouvrir une bouteille, le principe de la coupe du verre reste toujours le même: rayer la surface pour amorcer la rupture à l'endroit voulu. Concrètement, c'est un peu plus compliqué que cela, voyons tout de suite pourquoi.
Le verre est un matériau étrange, ce n'est pas un solide ! (*) En fait la structure cristalline de ses molécules n'est pas arrangée de manière géométrique (ni cubique, ni hexagonale, ni autre); on dit que la structure est "amorphe", qu'elle n'a pas de forme précise. C'est justement cette disposition aléatoire des molécules qui fait que la casse du verre prend des parcours imprévisibles. La coupe n'est qu'une technique qui permet de forcer un peu le passage par une trajectoire souhaitée, et encore, sans garantie absolue.
Que se passe-t-il donc dans la matière lors de la coupe ?
Tout le monde sait qu'il faut rayer le verre pour le couper, mais rarement pourquoi. En fait, la rayure cause une très forte agitation localisée des atomes. A cette échelle, il y a un brusque échauffement. Dans certaines conditions favorables, il est même possible de constater cet échauffement par une phénomène lumineux (très faible évidemment mais révélateur du cataclysme moléculaire). Comme le verre est très mauvais conducteur de la chaleur, il se produit une dilatation localisée et donc des contraintes qui vont se propager dans le sens de la moindre résistance: l'épaisseur. Cela cause fragilité dans la structure, que des contraintes supplémentaires augmentent jusqu'à la rupture, à nous de l'exploiter.

Le déroulement est simple: l'outil raye la surface du verre et engendre le phénomène d'échauffement que l'on vient de voir. On peut accentuer cet effet en appliquant des chocs modérés le long du trait de coupe, par le dessous. Cela s'appelle "détonner". Sur un verre translucide, on peut voir l'amorce de rupture traverser l'épaisseur du verre qui est alors prêt à la séparation. Pour une longue coupe droite, on applique la contrainte sur le bord de la table et les pièces se séparent. Pour des pièces petites et aux formes courbes, il peut être utile de s'aider d'une pince à détacher.



L'outil:
Le diamant n'a jamais été utilisé pour couper le verre, il a toujours eu d'autres usages ;-)
Au moyen-âge, le verre était coupé par choc thermique, une technique qui sort du cadre de cet article. De nos jours, l'outil comporte une petite molette en carbure de tungstène, montée sur un support de forme très variable.
Dans tous les cas, la molette doit être en bon état et tenue bien perpendiculaire à la surface du verre, sans quoi son profil ne serait pas efficace. Bien faire attention à tenir compte de l'écart entre l'axe de la molette et le bord de son support, il peut y avoir plusieurs millimètres à compenser par le positionnement ou la taille du gabarit.
L'outil est placé contre le guide (règle ou gabarit), à un bord de la plaque. On y applique une force d'appui vertical, ferme mais pas excessif, il ne faut pas éclater le verre à force d'appuyer dessus, hein ! On déplace l'outil en maintenant la position et la force d'appui tout le long du parcours nécessaire. En une seule fois, sans revenir en arrière, sans hésiter. Cela peut nécessiter de répéter le geste afin de s'assurer que rien ne gêne le mouvement. Un bon indicateur de la réussite de l'opération est le bruit de rayure. Si celui-ci est constant, ça va. S'il s’interrompt, c'est que la molette n'est pas en condition de travailler correctement (angle, force, surface grasse, etc), et glisse au lieu d'entamer la surface.
La plupart des coupe-verre présentent une partie métallique permettant de frapper légèrement sous le trait de coupe pour détonner le verre et faire apparaître l'amorce de rupture.
Les modèles les plus évolués comportent un dispositif de lubrification de la molette et d'un réservoir d'huile de coupe dans le manche. Cette huile contribue à faciliter le travail de la molette. Rappelez-vous plus haut le chaos moléculaire engendré par la rayure dans la structure amorphe; l'huile de coupe provoque un refroidissement rapide de cette zone surchauffée, ce qui génère une contrainte interne souvent suffisante pour que l'amorce de rupture se forme spontanément.
Pour les modèles qui ne sont pas équipés de ce dispositif, on peut les passer sur un coton démaquillant imbibé d'huile, juste avant la coupe.

La séparation:
Pour une longue coupe droite, le plus rapide est d'aligner le trait de coupe avec le bord de la table, de saisir la partie en porte-à-faux, la soulever et la rabattre sur la table. La partie sur la table ne peut évidemment suivre le mouvement et la partie dans le vide se sépare en continuant sa trajectoire librement. Une variant est de placer une baguette de bois sous le verre, légèrement à côté du trait de coupe, toujours pour créer un porte-à-faux. Pour des pièces plus petites, un crayon suffit.
Pour les coupes en courbe ou irrégulières, une pince à détacher permet de déclencher la cassure de séparation à une extrémité, elle va se propager très rapidement.
Pour des formes complexes, il peut être nécessaire de s'y reprendre à plusieurs fois. Par exemple, une pièce à courbure très creuse présente bien plus de risque de casse si on essaye de la couper du premier coup. Il vaut mieux procéder en plusieurs coupes en quartiers de lune pour s'approcher progressivement de la forme souhaitée.
Attention: il n'est pas toujours possible, ni prudent, de chercher à obtenir directement la coupe définitive. En vitrail, il est la plupart du temps nécessaire de s'arrêter avant la limite fixée et de s'en approcher encore à la pince à gruger puis à la meule.

Voilà, la description est longue mais le processus ne prend que quelques secondes.
Pour débuter, le mieux est de s'exercer sur des chutes de verre à vitre que l'on trouve pour vraiment pas cher dans les magasins de bricolage proposant un service de coupe sur mesure. Dans la prochaine partie, nous verrons quelques spécificités de certains verres.

Cordialement,
Nicolas.

(*) Pour la petite histoire, le verre est en fait un matériau extrêmement visqueux dont l'écoulement est incroyablement lent. Le phénomène a été constaté au château de Versailles, dont l'épaisseur des vitres de la galerie des glaces a été mesurée et s'est révélée systématiquement plus importante en bas qu'en haut de chaque élément ! C'est évidemment infime.
Acheter chinois tue nos emplois.
Mon avatar: Doc Brown, l'inventeur fou de Retour vers le futur ( Christopher Lloyd )
  • Liens sponsorisés



05-03-2017 à 18:50:37
Partie 2:

Pour aller plus loin dans la technique du vitrail, on est vite amené à utiliser des verres plus évolués. Il faut donc savoir à quel verre on a affaire car ils ont tous leurs spécificités. Il n'y a guère d'autre technique de coupe, mais au moins on sait que le risque est plus élevé.

On peut identifier trois différents types de verre:
- Les verres "float" sont des verres industriels coulés sur un bain de zinc fondu où il flottent (d'où le nom) avant d'être calandrés pour une épaisseur régulière et une éventuelle texture de surface. Ils sont teintés dans la masse et sont d'une régularité remarquable. Ils ont bien entendu un comportement similaire au verre à vitre puisqu'ils sont issus du même procédé. On peut ressentir une coupe plus dure avec certaines teintes à cause des pigments qui modifient les propriétés mécaniques du verre. Il faut toujours tester un verre avant de se lancer dans la coupe de pièces d'un vitrail, afin de savoir doser l'effort à appliquer sur le coupe-verre.

- Les verres soufflés unis dits "massifs antiques" sont également teintés dans la masse et la couleur influe sur la dureté, mais ils présentent aussi souvent des inclusions de bulles d'air et leur épaisseur est irrégulière à cause du procédé de fabrication (manchon coupé/déroulé). la différence d'épaisseur d'un bout à l'autre d'une pièce longue se sent dans la molette, la coupe est plus ou moins dure. Les bulles peuvent être en inclusion dans l'épaisseur ou déboucher en surface. Attention, cela est un défaut sans gravité dans la plupart des cas, mais il arrive aussi que ce soit un effet volontaire. Certaines références comportent des bulles plus ou moins grosses sur toute leur surface (en inclusion). Les bulles en inclusion ne gênent pas le passage de la molette (sauf à ce que celle-ci traverse la paroi) mais peuvent dévier les contraintes de coupe. Par contre, les bulles qui débouchent en surface gênent la progression de la molette et elle peut même s'y bloquer. Il faut anticiper ce risque et prévoir une posture et une force suffisante pour passer outre les aspérités. En fait, chaque interruption du trait de coupe est l'occasion pour les contraintes moléculaires de se propager où il ne faut pas. Il vaut donc mieux les inciter à suivre la molette en ne laissant pas celle-ci s'arrêter.

- Les verres soufflés bariolés sont en fait un millefeuille de verres de teintes différentes et plus ou moins bien liées.
Ils cumulent toutes les "difficultés" précédentes (le terme est à relativiser, ça se gère). S'y ajoute pour les plus multicolores une tendance à propager les coupes dans le sens du feuilletage. Ce n'est pas une délamination car les coefficients de dilatation des différentes teintes ont été sélectionnées pour leur compatibilité, mais il reste que c'est un assemblage moins intime qu'un verre massif et cela se retrouve à la coupe. Lors de la rayure à la molette, les contraintes moléculaires rencontrent des couches de densité différente qui les dispersent un peu. Le trajet de l'amorce de cassure peut alors dévier du trajet le plus court pour un plus facile et aboutir non pas au strict opposé du trait de coupe mais légèrement à côté. Pas de chance quand ça dépasse sur la partie visible de la pièce !
Attention également, cela génère des arêtes extrêmement fines et coupantes.
On a donc les bulles éventuelles, la variation de dureté de la coupe en fonction de l'épaisseur, et les teintes sont elles aussi variables maintenant. En effet, selon la position du motif sur la plaque de verre, certaines couleurs se superposent, se mélangent et/ou viennent affleurer la surface de manière alternée. Ce ne sont pas des verres pour débuter et faire des formes complexes requérant d'assembler des pièces avec continuité du motif.

Dans chacune de ces catégories, on peut trouver des verres avec une texture de surface plus ou moins marquée. Celle-ci n'est normalement présente que sur une seule face, mais il y a bien sûr des exceptions. La coupe se fait donc sur le côté lisse; on détonne sur l'endroit pour ne pas abîmer les reliefs et surtout pour que les contraintes se propagent bien sur toute l'épaisseur et toute la longueur du trait de coupe. Il va de soi que ce genre de verres ne sert pas souvent et qu'il est réservé à des projets tenant compte de leur spécificité. Quand la texture est d'amplitude significative (plusieurs millimètres parfois, se pose le problème du montage et la difficulté est de faire coïncider le motif et la forme du verre tout en restant compatible avec le sertissage dans le plomb.

J'attire également l'attention sur l'état de surface des verres, quel que soit leur type à la base. Que ce soit pour la fabrication ou pour l'entretien ensuite, les textures sont parfois de gros traquenards pour le nettoyage. Prudence avec les surfaces susceptibles de piéger du mastic ou de la simple saleté qu'il sera terriblement fastidieux de retirer ! A bon entendeur...

Nicolas.

Acheter chinois tue nos emplois.
Mon avatar: Doc Brown, l'inventeur fou de Retour vers le futur ( Christopher Lloyd )
08-03-2018 à 06:32:20
Partie 3:

Cas particuliers.
Jusque là, il ne s'agissait que de verres plats simples. Ce ne sont pas les seuls cas que l'on peut rencontrer, c'est parfois un peu plus compliqué.

- Le verre armé:
Il s'agit d'un verre incluant un grillage métallique noyé dans la masse. Ce verre peut être coupé de la même manière que le verre classique, pour des formes simples (coupes droites ou courbes à grand rayon). Une fois la cassure réalisée, les deux parties restent évidemment attachées par les fils de fer. La seule solution est de les cisailler par des mouvements répétitifs d'une pièce par rapport à l'autre. Attention à limiter les mouvements pour ne pas trop ébrécher le verre. Sous l'effet des mouvements, les fils vont s'échauffer, s'allonger un peu (et donner plus de liberté de mouvement), puis casser. Les pièces ainsi réalisées sont bien sûr coupantes ET piquantes et doivent impérativement être protégées. Une finition à la meule à eau peut éventuellement être pratiquée.

- Le verre trempé:
Il ne devrait pas être considéré comme recoupable. Le procédé du trempage engendre des tensions considérable dans le verre qui le rende inapte à supporter la coupe à l'outil. Oubliez donc l'idée de raccourcir un plateau d'étagère en verre trempé !
Les techniques les plus modernes telles que le ruban diamanté ou le jet d'eau doivent permettre de faire des découpes dans le verre trempé. C'est marginal car la coupe est nettement plus avantageuse avant traitement.

- Le verre feuilleté:
Il s'agit de deux feuilles de verre collées par une lame de plastique. Cela signifie que la coupe classique ne fonctionne pas et doit être adaptée.
L'astuce consiste d'abord à tracer la coupe d'un côté à la molette carbure et de faire traverser cette coupe sur la première épaisseur. Après avoir retourné la feuille de verre, une coup est effectuée rigoureusement alignée sur la première. Le trait de coupe est lui aussi détonné et la pièce "séparé". En fait, elle reste évidemment liée par la lame de plastique. Celle-ci est assez résistante et ne s'allonge pas pour permettre d'insérer une lame de cutter.
La deuxième partie de l'astuce est donc de faire pénétrer un peu d'alcool à brûler dans la coupe (de chaque côté du verre). L'alcool va y pénétrer par capillarité et on peut alors approcher une flamme qui va chauffer le plastique, le ramollir et permettre d'écarter les deux pièces. Bien s'assurer de stopper la combustion le plus tôt possible, avec un chiffon, surtout pas à l'eau (choc thermique). Ne pas trop tirer pour ne pas décoller la lame de plastique trop loin, juste de quoi passer une lame.

- Les bouteilles:
Il existe un berceau dont un des appuis comporte une molette. On en règle la disposition, on place la bouteille et on la fait tourner sur la molette en appuyant un peu. C'est juste un guide pour faire une coupe droite dont les extrémités se rejoignent bien. Après détonnage prudent, la séparation se fait en tirant.
Une autre technique consiste à enrouler un fil de couture imbibé d'alcool à brûler, sans faire de bavure, puis d'approcher une flamme. Le choc thermique qui s'ensuit doit causer la cassure sur le tracé. avantage de cette technique, la possibilité de faire des coupes en biais...

- Tubes:
Domaine nettement plus rare, les tubes se coupent de différentes façon selon leur diamètre. Pour les petits tubes, une simple rayure sur à peu près un quart de la circonférence suffit à générer une amorce de rupture qui se propagera d'elle-même sur le reste du trajet sous l'effet d'une traction de part et d'autre. On peut aider en appliquant un peu de salive immédiatement après la rayure (choc thermique). Quand la longueur à retirer ne permet pas de tirer sur la pièce, on peut s'aider d'une flamme de chalumeau très pointue pour appliquer un choc thermique très localisé.

Voilà, c'est à peu près le tour d'horizon de la coupe de verre, si vous avez connaissance d'autres techniques, merci de compléter cet article par une description à la suite.

Nicolas.

Acheter chinois tue nos emplois.
Mon avatar: Doc Brown, l'inventeur fou de Retour vers le futur ( Christopher Lloyd )
  • Liens sponsorisés